Petite histoire du viol.
Parmi tous
les sévices que l’on peut faire subir à un être humain, le viol fait
probablement partie des plus anciens ayant toujours cours à l’heure actuelle. C’est
un acte dont la finalité profonde est un acte de domination et d’emprise tant
mental que physique.
Il n’y pas,
à proprement parler, une « Histoire » du viol comme il y a une
Histoire du féminisme ou de la liberté d’expression. Il n’y a pas de date de « création » du viol, pas de
date où le concept est apparu comme par magie en sortant du chapeau du premier
zéro sexuel en manque. Car il semblerait que le viol soit aussi vieux que le
monde.
L’Antiquité
Code d'Hammourabi |
En revanche,
on retrouve la première mention du terme
« viol » dans le Code d’Hammourabi qui fait la différence entre
ce dernier et l’adultère. Il y est aussi noté une graduation de la peine
encourue en fonction de la virginité de la femme. On notera que pendant des siècles, il n’est question que de viol
féminin. De là, se retrouvent les racines qui font que pour beaucoup, le viol
masculin n’existe pas.
Chez les
Hébreux, il apparaît en filigrane dans l’un des 10 commandements :
« Tu ne convoiteras ni la femme, ni la maison, ni rien de ce qui
appartient à ton prochain » (on notera que la femme appartient…). Punition
était infligée si, selon le Code Deutéronomique, la femme mariée ou fiancée
était surprise avec un homme. Il y avait alors adultère. En revanche, si
l’homme était extérieur à la ville, seul ce dernier était châtié. Enfin, si la
victime était une jeune femme, l’homme devait payer une amende et épouser la
fille sans possibilité de divorce. Nous avons là, l’une des premières mentions du mariage réparateur,
notion estimant que la femme avait perdu son honneur et donc, était incapable
de trouver un mari et que, par conséquent, il fallait la protéger.
Chez les
Grecs, le viol est avant tout divin dans
le sens où les dieux eux-mêmes recourraient au viol de manière quasi
systématique. Je ne citerai que ce bon vieux Zeus et ses multiples aventures
extraconjugales. Il y a aussi la notion de mariage par enlèvement dont
l’exemple le plus criant est celui de Proserpine par Hadès. L’adultère féminin,
dans la société grecque se confondait avec le viol et était sévèrement puni.
Sarcophage avec l'enlèvement de Perséphone - Walters Art Museum de Baltimore |
Enfin, c’est
chez nos amis les Romains que la notion de viol est la plus complète (mais ça,
c’est probablement parce que je dispose de beaucoup de sources). Ainsi, ils distinguent le viol masculin et le viol
féminin.
Les hommes violés ne perdent pas leur
statut légal et social et ne sont pas touché par l’infamie. Contrairement à
ceux qui se prostituent ou ont un rôle passif dans une relation sexuelle. Comme le rapporte le Digeste de Justinien,
« selon le juriste Pomponius, si quelqu'un a été violé, que ce soit
par la force par des bandits ou par des ennemis en temps de guerre, il n'a à
souffrir aucune humiliation » (« si
quis [...] vi praedonum vel hostium stupratus est, non debet notari, ut et
pomponius ait »).
La loi
romaine évoque le viol masculin dès le
IIème siècle avant Jésus Christ après qu’une affaire impliquant un homme
homosexuel ait fait grand bruit. S’en suit une évolution législative au cours
des siècles suivants : la Lex
Julia de vi publica promulguée au début
du IIIe siècle mais datant probablement de Jules César définit
le viol comme une relation sexuelle forcée contre un « garçon, une femme
ou quiconque » ; le violeur est passible de mort, une punition rare
dans le droit romain ; le viol d’un garçon est aussi grave que celui d’une
materfamilias et est un crime capital
(c’est l’un des pires crimes avec le parricide, le viol d’une vierge et le vol
d’un temple)…
Mars et Rhea Silva - Rubens |
Le viol féminin, quant à lui, est aussi
représenté dans la mythologie romaine. Cela commence, notamment, avec le
viol de la Vestale Rhea Silvia par le dieu Mars… Viol dont sont issus Remus et
Romulus. Vient ensuite l’enlèvement des Sabines. Puis le renversement de la
monarchie après le viol de Lucrèce par Sextus Tarquin…
Le droit romain reconnaît le viol comme un
crime dans lequel la victime n’est coupable de rien. Sous Dioclétien, la
position officielle est la suivante : « La loi punit la faute de ceux
qui prostituent leur modestie à la luxure des autres, mais elle n'impute pas la
faute à ceux qui sont contraints au stuprum par
la force, car il a, par ailleurs, été proprement décidé que leur réputation est
saine et sauve et que le mariage ne leur est pas interdit. » (Gardner
« Women in Roman Law and Society » ; le stuprum est, globalement, le « crime sexuel » et englobe
l’inceste, le viol et l’adultère ; c’est une notion qui ne peut être
appliquée qu’aux citoyens).
En revanche,
comme je l’ai mentionné, le viol n’est
reconnu que pour une citoyenne romaine. Le viol d’une prostituée n’est pas
reconnu tout comme le viol d’une esclave (d’ailleurs, il n’y a procès que s’il
y a dommage pour le propriétaire (Cf : Lex
Aquilia). La question du consentement ne se pose pratiquement pas en cas de
viol puisque même avec, le coupable peut être inculpé. De même, puisque le viol
d’une femme mariée ne pouvant être prouvée, la loi augustéenne prévoit la notion d’adultère criminel pour l’homme
coupable. A noter que les accusations de viol sont assez rares dans le sens
où les pressions existent tout comme la répulsion à l’idée de rendre l’affaire
publique.
Brutus, Lucretius et Collatinus jurent de venger la mort de Lucrèce - Beaufort |
Le Moyen-Âge
Le
christianisme prônant la chasteté et la virginité, il est évident que le viol est sévèrement condamné.
Cependant, l’Eglise s’attache d’abord à condamné le rapt des veuves et des
vierges consacrées (on en revient à la notion de raptus : en droit romain, cela signifie l’enlèvement, le
mariage par enlèvement dans lequel le viol est secondaire ; plus tard, la
notion de raptus et stuprum
« enlèvement dans le but de commettre un crime sexuel » apparaît et
devient distincte) durant les conciles de Chalcédoine et de Lérida au VIème AD.
L’interdiction s’étend plus tard à toutes
les femmes. Un pénitentiel du XIème siècle condamne les coupables de rapt
de femmes mariées à l’anathème et ceux de jeunes filles ou de veuves à l’excommunication.
Du XVIème au XXème siècle
A l’époque
moderne, la violence est considérée comme naturelle, existant des deux côtés de
la barrière : tant chez les criminels que chez la justice. Légalement, le viol est puni de mort et
parfois de tortures. S’il y a virginité, le châtiment est pire. Pire encore si
la victime n’est pas nubile. Le rang de la victime et du coupable sont
alors très importants : le viol d’une noble ne sera pas traité de la même
manière que celui d’une roturière tout comme le coupable n’aura pas le même
châtiment s’il est noble ou roturier.
Ce cher Voltaire... |
Dans le même
temps, on considère que la volonté
contrainte reste tout de même une volonté. On ne tient compte d’aucun critère :
ni la violence physique, ni la violence psychologique. Seule la perte de la
virginité compte. Les philosophes des
Lumières font partie de ceux qui estiment qu’un homme seul ne peut violer une
femme seule si elle est vraiment déterminée. Si la femme est mariée,
l’injure est faite à l’époux.
A la fin du
XVIIIème siècle, un travail de réflexion morale s’effectue. La vision du viol reste globalement la même
mais s’y intègre une sorte d’échelle de valeur considérant certains viols
comme plus odieux (ceux sur les enfants, notamment) et certaines victimes comme
plus innocentes.
Avec la
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, l’homme est alors considéré
comme propriétaire de son corps. Dans la même veine, le code de 1791 entérine
la notion d’actes nuisibles à la société et distingue les crimes et délits
contre les biens et les crimes et attentats contre les personnes. Dans les
faits, cela ne change pas grand-chose.
Qu’une femme porte plainte et cette dernière est déboutée tout en étant invitée
à demander à son époux de porter plainte à sa place. On continue à considérer
un consentement contraint comme un consentement réel, les victimes sont
toujours vues comme coupables et l’on pense toujours qu’un homme seul ne peut
violer une femme seule. En définitive,
seule la législation sur les viols et incestes sur enfants change : les
victimes ne peuvent plus être poursuivies. Toujours aucune mention de viol par
sodomie.
Au XIXème
siècle, on continue de penser que le viol ne se passe que dans les villages et
hameaux. Le code civil de 1810, dans son article 331, définit l’attentat à la pudeur et la violence sexuelle. La sodomie
reste encore impunie alors que le code civil approfondit l’intention
criminelle. La tentative de viol
bénéficie pour la première fois d’un article et d’une définition. Création
d’une unité criminelle dans le code, appelée « les attentats aux
mœurs ». Ce dernier, d’ailleurs, continue de condamner uniquement
l’adultère féminin. On reste encore sur le consentement forcé comme
consentement réel tandis qu’émerge
l’idée que le viol d’un enfant est impossible compte tenu de la différence de
taille des organes génitaux.
Il faut
attendre 1850, grâce à la jurisprudence,
pour que l’on commence à punir des cas où il y a eu violence morale ou menace.
C’est en 1857 que Tardieu tente de définir les traces physiques du viol. 1880 : on commence à comprendre la
spécificité du viol sur les enfants : on parle alors de perversité et
on pense que cela a à voir avec l’alcoolisme. La spécificité de l’inceste est
elle aussi évoquée. Plus que le viol, c’est de la violence physique que l’on
veut protéger les enfants (cf. les lois de 1889 et 1898).
C’est en 1906 qu’est créé le terme
« pédorose » pour les viols sur enfants alors que l’on pense que
les pauvres et les étrangers (belges et italiens en première ligne) sont plus
susceptibles de violer. On commence à
parler des conséquences psychiques du viol même si les outils pour les
définir sont encore aux abonnés absents. Dans le même temps, on continue de penser que l’enfant violé
sera souillé, corrompu et donnera naissance à des rejetons pervers.
Image d'archives du procès d'Aix en Provence de 1978 |
Avec le
procès d’Aix en Provence, en 1978, c’est plus le procès du viol qui est fait. On y souligne alors le rapport de
force sur les femmes (merci les féministes de l’époque) selon une logique
culturelle, psychologique et juridique. De là en découlent les textes de lois
qui sont encore à l’œuvre aujourd’hui.
Le procès
d’Aix en Provence marque un véritable tournant dans la vision du viol (même si
elle est encore sérieusement entachée par des siècles d’idiotie). Il opposait
deux touristes belges (lesbiennes) qui avaient été violées et torturées par
trois hommes. Cela avait d’abord été qualifié comme « coups et
blessures ». Au cours du procès, Gisèle Halimi a dénoncé la responsabilité de la société qui, en donnant l’avantage à
l’homme, autorise la domination masculine et encourage l’inégalité des
relations hommes-femmes. Elle a démontré que les violeurs sont le fruit d’une
société tolérant le viol des femmes. Puis elle a souligné le fait que les
victimes sont atteintes socialement, moralement et qu’elles sont
psychologiquement traumatisées et atteintes dans leur intégrité.
Pour terminer:
Malheureusement, l'histoire du viol ne s'arrête pas avec le procès de 1978. Elle ne cesse d'évoluer, de connaître de nouveaux rebondissements.
J'avoue que ce billet est extrêmement ethnocentré. Cependant, je ne tenais pas à entrer dans un domaine que je ne connaissais pas en évoquant des pays dont l'histoire ne m'est que partiellement, et parfois pas du tout, inconnue.
Je tiens à remercier l'auteur de l'oeuvre "Histoire du viol": George Vigarello pour son travail formidable.
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